Photo by Prapoth Panchuea on Unsplash |
Sonia pose sa tête contre son épaule. Elle aime l’odeur boisée du Vétiver qui s’échappe de sa chemise entrouverte. Le canapé semble bien petit, elle se recroqueville contre lui, le serre dans ses bras, une mule tombe sur le sol, puis l’autre. Elle sent l’heure de la séparation approcher. Il est pensif, il ne dit mot. Il caresse machinalement son dos, ses hanches. Elle aime ça. Elle remarque qu’il compte les minutes qui s’affichent sur le radio-réveil. Son train entrera en gare dans moins d’une heure maintenant. Il parle enfin :
- « J’aimerais que la vie ne soit qu’une suite de
vendredis. Le vendredi soir est plein de promesses, de sorties, d’amusements, de toi, de nous deux, de musique, de baisers. Je hais la séparation, le
dimanche, cette mélancolie malsaine qui s’insinue entre nous, en moi, ce venin
qui m’empêche de profiter de ces instants avec toi. Je voudrais me téléporter
sans trajet, sans ennui, sans tristesse. Me retrouver en un claquement de
doigts lundi matin avec ma routine : me doucher, me raser, un café et une clope.
Le métro, l’escalier, l’ascenseur et mon bureau. »
En se levant, il prend soin de ne pas lui faire mal. Il se dirige vers la fenêtre et allume une cigarette. Elle le suit, lui réclame une blonde, l’allume, inspire et expire la fumée dans un long soupir.
- « Tu te fais du mal. On ne peut rien changer à tout cela. »
Les nuages annonciateurs de l’orage assombrirent la pièce.
- « Je vais partir plus tôt aujourd’hui, ne m’accompagne
pas à la gare, je vais marcher »
Vexée, elle reste à la fenêtre, furibarde. Il enfile son
blouson, prend sa valise et s’en va sans se retourner. Pas de salut, pas de
baiser, rien, sauf l’incompréhension.
La pluie vient à tomber, tout d’abord quelques grosses
gouttes isolées puis de plus en plus fort. Il court jusqu’à un arrêt de bus, l’atmosphère
est lourde et l’averse parvient à peine à rafraîchir la ville.
Sur le chemin de la gare, il s’arrête boire un expresso. En
feuilletant Libé il apprend la mort de Luis Buñuel, il se sent inculte, il n’a
vu que Belle de jour. Il se dit qu’il se rattrapera en s’inscrivant au
Ciné-club. A force de rêvasser il va finir par rater son Corail pour
Saint-Lazare. La pluie a cessé.
Une fois dans son compartiment, il a tout le temps de ressasser
sa brouille. Regrettant ses mots il prépare le coup de fil qu’il lui passera.
Il commencerait ainsi :
« Chérie, ça va ? Excuse-moi, je me suis vraiment
comporté comme un connard, t’as raison, je ne sais pas profiter des bons moments avec toi.
Tu m’en veux (avec l’intonation enfantine qui monte vers les aigus pour l’attendrir) ? »
Son plan bien ficelé, il s’endort juste après Bernay, se
réveille à Saint-Lazare. La pluie est arrivée jusqu'à Paris. Métro, une centaine
de mètres jusqu’à l’immeuble, il passe la porte cochère, tourne à gauche, ascenseur
en panne, monte au troisième.
Le voilà chez lui. Il se déchausse, retire son blouson. Il
remarque que son répondeur clignote, il appuie sur Play :
« Paul, j’ai bien réfléchi pendant ton trajet retour. Ne cherche plus à me revoir, on ne sera jamais heureux ensemble. J’ai
besoin de spontanéité, de vivre au jour le jour, de prendre les petits comme
les grands bonheurs comme ils viennent. Toi tu ne me comprendras jamais, tu
veux planifier ton bonheur… (elle marque une pause) Mais le bonheur ne se
décrète pas, on ne fait pas de plan quinquennal… Ne te méprends pas, j’ai passé
de beaux moments avec toi, t’es un chic type… mais je sais au fond de moi que
ça ne fonctionnera pas. Adieu. »
Les trois bips à la fin du message résonnèrent en lui
pendant longtemps. Parfois le visage de Sonia réapparaissait devant ses yeux comme
un phénomène de persistance rétinienne. Il cherchera une nouvelle Sonia toute sa
vie.
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