Un vœu


Le soleil s'immisce dans la chambre en perçant les volets de bois aux lames hors d'âge. Les rais de lumières s'impriment sur le corps nu d'Ava. C'était notre première nuit. Je la regarde dormir sur le dos, son visage paisible est tourné vers la gauche, sa bouche est légèrement ouverte. Sa chevelure indisciplinée s'étale sur l'oreiller, elle forme des vaguelettes aux reflets roux, elle sent les embruns, le feu de bois, comme moi. Souvenirs d'une soirée au bord de l'eau : un feu, le reflet des flammes dans son regard clair, quelques airs de guitare fredonnés de sa voix étrangement grave. 

Je la regarde dormir, elle sait, elle sent que je la scrute dans les moindres détails, ici un grain de beauté, sur sa nuque un tatouage minuscule, là une cicatrice. Elle se tourne vers moi. Mes yeux sont grand ouverts, les siens mi-clos. Elle se frotte les yeux comme un enfant au réveil. Je me dis qu'elle est sublime, que je suis chanceux. Je passe mon index sur son nez, sur sa bouche rouge sang, mon doigt dévale sa gorge, se fraie un passage dans le canyon formé par sa poitrine et forme des cercles sur son ventre rond et accueillant. "Arrête, tu me chatouilles." Elle me dit cela en riant et se tourne sur le ventre.

On étouffe, je me lève et entrouvre la fenêtre, la fraicheur du matin se diffuse dans la pièce et évacue l'odeur de sexe et de latex. Je m'assieds sur ses cuisses. La vue est magnifique, son dos est une colline en pente douce parsemée de coquelicots, ses fesses, rondes comme des brioches sont trop gourmandes pour être honnêtes. Je pose mes mains sur ses épaules, sa peau irradie une chaleur douce et rassurante. Délicatement, mes mains glissent le long de sa colonne vertébrale, elle gémit dans l'oreiller et je le prends comme un encouragement à continuer ces lents va-et-vient de haut en bas et de bas en haut. Je dégage sa nuque et appose un baiser sur son cou, derrière une oreille, dans sa chevelure de feu. Elle se tourne et me voilà face à elle, "je vais devoir y aller, j'aimerais tant rester ici." Nous nous enlaçons une dernière fois, "Armand, je dois vraiment y aller" elle me dit, en affichant une moue pleine de déception. Je la libère de mon étreinte, elle enfile un jean, une chemise blanche.  "Tu peux me ramener en ville ?"

Nous quittons la station balnéaire, le voyage à travers le bocage est silencieux. Les vaches nous regardent passer, amorphes. J'ai envie de m'assurer qu'elle va bien, mais ne l'importune pas avec mes questions, et pourtant j'en ai tellement en tête… Il ne s'agit pas de tout gâcher, mieux vaut fermer sa gueule. Elle fouille dans mes cassettes dispersées sur la moquette rouge de la décapotable, elle en choisit une, l'insère dans l’auto-radio, les premières notes se font entendre. Ava, visiblement heureuse chante mezzo voce "Who loves the sun ? Who cares that it makes plants grow ? Who cares what it does, since you broke my heart ?"

"J'adore le Velvet Underground, Lou Reed !" Elle s'illumine, je suis béat d'admiration devant cette femme dont j'ignore l'essentiel et qui pour une fois, partage mes goûts musicaux. Elle me raconte l'histoire de ce titre que je connais bien : "Tu sais que c'est une chanson sur la fin d'un amour ? C'est sur le manque après une rupture ? C'est dingue… La musique est tellement joyeuse !" Nous reprenons en chœur les "Pa Pa Pa" du refrain, elle se penche vers moi pour m'embrasser la joue en libérant un gros "smack" bien sonore. Je n'ai jamais ressenti cela auparavant. Le vent fait voler ses cheveux devant ses yeux, elle est radieuse. C'est contagieux toute cette joie, mon cœur déborde d'amour pour elle, je n'ai qu'un vœu, finir mes jours à ses côtés.

Nous nous arrêtons dans un bar restaurant pour prendre un café. Sur la vitrine de l'établissement est écrit "Spécialité de pieds de porc grillés, servis à toute heure". Une femme revêche aux blond peroxydé fatigué, perchée sur des talons de 15 centimètres nous toise et s'approche de notre table pour prendre la commande. Je demande un café. Ava hésite, me regarde, l'œil rieur, "Pour moi ce sera un pied de porc et un verre de blanc ! Allez, toi aussi prends ça !" Evidemment je ne peux me dégonfler et nous voilà en train de déguster les pieds de porc croustillants et gélatineux, des frites molles et grasses et quelques petits verres de Muscadet vivifiants. Putain d'aventure. Nous reprenons la route repus et pompette. 

Il n'y a personne sur la route, j'appuie sur le champignon, Ava me dit "Plus vite champion". La Peugeot avale les kilomètres, nous sommes grisés de vitesse et de plaisir. Elle pose sa main sur ma cuisse, s'amuse à m'exciter, me titiller, elle détache la ceinture pour mieux poser sa tête sur mon épaule. 

Je n'ai rien vu, juste un tracteur qui déboule par la droite, en haut d'une côte. J'ai beau freiner, rien ne se passe. Tout défile au ralenti, puis en accéléré, j'ai vu nos corps projetés vers l'avant, le pare-brise exploser sous le choc monstrueux, mon crâne se fracasser contre le volant, puis contre l'appui-tête, et encore sur le volant, ma tête en miettes, le sang projeté en gouttelettes façon Jackson Pollock.

La dernière chose que j'ai entendu fut le cri strident d'Ava accompagnant le fracas dissonant de la tôle rouge qui s'encastre dans la remorque de bottes de paille. Mon vœu s'est réalisé.

  




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