Par les chemins creux


Je marche. Depuis peu je réapprends à marcher. Il se trouve qu'à force de sédentarité j'en avais oublié le goût. Alors, je me force. J'ai remarqué, qu'à chaque fois que je sors trainer ma carcasse par les chemins, je pense à toi. C'est toujours le même processus, au fur et à mesure que j'avance de lieu-dit en hameau, chaque pas remonte un peu plus l'horloge de mes souvenirs de toi. Tout me rappelle ces balades que nous ne ferons jamais ensemble. 

Sous la voûte formée par les chênes, transpercée çà et là par quelques rayons de soleil, je me suis souvenu du jour où je suis tombé follement amoureux de toi. C'était un mardi à 17h30, dans un café soi-disant américain, près de la cathédrale. Nous avions convenu d'un rendez-vous. Tu portais des bottines que je trouvais atroces, un jean qui moulait bien ton cul. Ce jour-là, je t'ai laissée parler, j'ai lu sur tes lèvres carmin, j'ai bu tes mots, tes syllabes, les plosives et les sifflantes, je suis resté presque muet, j'ai écouté.

En posant un pied devant l'autre, je me suis souvenu du trouble que tes messages éveillaient en moi, au début le bonheur puis au fil des échanges la déception. Tu te faisais laconique et froide. Quelle douleur que d'attendre un signe de toi, en vain. Je ne sais pas pourquoi, et quand, tu as décidé que tu ne m'aimerais pas.

Tu m'as « ghosté »… Silence.

Mon pas lourd fait craquer les brindilles, ma main arrache les hautes herbes, je te revois m'éconduire en douceur, c'était sur le parking du supermarché Cora, un jeudi de décembre, il pleuvait. Une main glacée posée sur la mienne, ton regard compatissant qui me signifiait l'échec : non, c'est non. Nous n'avions pas rendez-vous.

Par les chemins creux je me remémore, ton corps en détail : tes pieds, taille 37, tibias et péronés toujours solidaires, rotules en vrac, fémur de jeune femme, tes hanches coriaces, tes cotes (au nombre de vingt-quatre, les vraies les fausses et les flottantes), plexus solaire, ta poitrine que j’aurais chérie si seulement… J’ai détaché ton cou, ton visage est demeuré impassible. Etonnant, non ?

Je marche jusqu'à ta sépulture anonyme, elle est tapissée de digitales et de pâquerettes, tranquille sous un chêne que les anciens disent centenaire. C’est le moment de me recueillir : Amen. Puis je reprends le cours de ma randonnée, tant qu'on ne m'arrête pas, je marche. 


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