Elle était venue s'asseoir près de moi, elle sentait la fougère et le soir qui descend sous les arbres*. Elle a posé lentement sa tête sur ma cuisse, ma main s'est glissée machinalement dans sa chevelure foisonnante. Avec l'index, j'ai commencé par dessiner le signe infini dans la jungle de ses cheveux, puis c'était des tourbillons de mèches que je créais, ils finissaient toujours en nœuds inextricables. Elle se fichait bien des nœuds et de tout autour. Imperceptiblement, ses paupières fardées de noir se sont fermées. Sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration paisible. Elle portait une robe qu'on aurait dite ancienne, une robe blanche en coton toute simple dont le seul luxe résidait dans quelques fioritures brodées aux manches et à l'encolure. Après quelques minutes, elle a ajusté délicatement sa position, se calant parfaitement en glissant sa main entre son visage et ma cuisse et repliant ses jambes comme un nouveau né. J'ai dégagé une mèche de cheveux derrière son oreille pour mieux profiter de son profil, j'ai passé furtivement mon doigt sur son nez long et fin. J'admirais, silencieux, son teint diaphane, sa peau parsemée de tâches de rousseur. Des pâquerettes poussaient ça et là, au creux de quelques boucles de jais.
Je n'avais pas envie qu'elle s'endorme, le ciel s'obscurcissait, j'avais peur. Je me suis mis à raconter tout ce qui me venait à l'esprit :
"Maman a sorti les shorts de l'été dernier. C'est drôle, dans les poches il restait du sable des vacances à Carteret. C'était tellement bien... Tu te souviens on jouait à dévaler les dunes, on se prenait pour des cascadeurs. Je n'oublierai jamais le dernier soir. Papa nous avait allumé un feu sur la partie sauvage de la plage, là où les touristes ne vont jamais. Tu avais amené ta guitare, on avait fait griller des guimauves. Paul avait chouré un pack de bière à ses parents. Ta pote Jeanne nous faisait flipper avec ses histoires de serial-killers ! Tu avais joué The Passenger d'Iggy Pop, on hurlait en chœur le refrain qui fait La La La La La La La La. Je me souviens m'être dit qu'il était temps que je me mette aussi à la guitare. Je m'imaginais jouer avec toi, pourquoi pas monter un groupe... un jour. Puis le feu est mort, il s'est mis à faire frisquet, le vent soufflant sournoisement de Jersey nous faisait grelotter. Paul a distribué les sacs de couchage, il a étalé une grande couverture de laine sur le sable devenu froid. Collés les uns contre les autres, on a compté les étoiles filantes et ri... beaucoup. A travers nos duvets j'ai touché ta main. Tu m'as regardé amusée et tu m'as offert ton grand sourire. Le lendemain, au moment des adieu, j'étais extatique quand ton père a dit : "L'année prochaine, vous venez chez nous, en Creuse !"
Elle a remarqué que ma main ne massait plus son crâne. Elle l'a prise et la positionnée avec autorité dans ses cheveux. Encore, soupira-t-elle, mi endormie, mi capricieuse.
La nature s'est tue, pas d'un seul coup, mais progressivement, comme si un chef d'orchestre invisible avait ordonné aux grenouilles, aux insectes volants et bourdonnants, au vent dans les branchages et à tout ce qui peut troubler le silence champêtre de se taire. Ainsi, tout le monde ici jouait au roi du silence.
A mesure que le ciel se drapait de noir et que des galaxies d'étoiles s'allumaient je me suis senti de mieux en mieux, confortable en sa compagnie. Tout à coup, elle a tourné son regard vers moi, nous étions seuls au monde. Son front constellé de gouttelettes d'argent s'offrait à ma bouche. Cette année encore elle m'a souri. Bonne nuit.
* IL s'agissait lors de cet atelier de continuer l'histoire. La première phrase est issue du roman de Maylis de Kerangal Je marche sous un ciel de traine.
Commentaires