Comme le venin envahit mes veines (épisode 4)

 Le corps de l'homme git nu sur le trottoir. Aucune étoile ne vient percer le noir de la nuit, le vent d'ouest secoue les peupliers régulièrement plantés le long de la rue. La pluie fine  s’abat sur sa carcasse inerte comme une averse de minuscules épingles qui cinglent sa peau. Un clébard qui passait par là lui renifle le visage. Les coups de museau et de langue parviennent à le réveiller.

Le type grogne, laisse échapper des syllabes sans aucun lien ni logique, rien qui ne puisse s'apparenter à un mot. Il a un goût de sang dans la bouche, un mal de tête carabiné. Son regard scanne la rue à la recherche de vêtements. Pas une frusque en vue. Les questions se bousculent sous son crâne douloureux. Il n'est plus personne, il n'a rien pour prouver son identité, hormis un tatouage comme écrit à la machine à écrire et placé sous l'avant-bras droit :


AMOR FATI / MEMENTO MORI

 

A mesure qu'il émerge du coaltar, sa vision se précise, il reconnait les ruelles de Vague-le-Bains sans pour autant se souvenir du pourquoi, du comment. Pourquoi diable est-il ici ! ?Avec difficulté il prend ses marques : l'église, le caviste, le port. Il a peur qu'on le repère, à poil, errant de maison en maison, cherchant à se rendre invisible, plié en deux, en longeant les murs, tel Quasimodo. 

Un groupe de mecs complètement blindés à la bière belge d'abbaye est en approche, ça vocifère, ça beugle. L'homme parvient à se nicher derrière un massif d'horthensia, dont les branches lui lacèrent le cuir. L'église sonne 4 heures. Il a envie de chier, de cracher, de pleurer, il préfèrerait
être mort.

En puisant dans ses dernières ressources il sprinte comme un dératé, jusqu'au parking, le seul du bled. S'il est arrivé ici, c'est en voiture, donc sa bagnole doit y être stationnée. Logique implacable d'un type épuisé mais dont l'instinct de survie se manifeste au moment opportun. 

Sa Volvo est là, par miracle elle est ouverte, les clés sur le contact. Il s'y réfugie, soulagé : personne ne l'a vu. Derrière le siège passager, on a pendu un cintre comme le font les VRP en tournée. Ses vêtements sont là, pliés, propres et intacts. Il décroche le cintre et se fringue en toute hâte. Epuisé, il s'endort au volant de la berline.

La courte nuit s’est révélée agitée, mais rien ne l’aidera à comprendre ce qu’il s’est passé. Blackout. 



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