Nos transports amoureux (épisode 5)

 


Nuit magique

Une histoire d'humour qui tourne à l'amour

Quand vient le jour

Nuit magique

On perd la mémoire au fond d'un regard

Histoire d'un soir

Nuit magique - Catherine Lara

Il dort à côté de moi, sur le ventre, une main sous l’oreiller, un pied dépassant du lit. Il ronflote, comme c’est chou ! Il a l’air détendu, paisible comme un enfant. Le radioréveil indique 06 heures 32, c’est l’heure de s’éclipser, comme Fantômette. J’emmène avec moi mes fringues laissées en vrac sur le parquet, je me rhabille en toute hâte dans le salon puis laisse une note sur le bar :

« Yves, merci pour cette soirée délicieuse, j’ai tout aimé. Agnès »

Je ferme avec précaution la porte d’entrée, sans la claquer, et vite je rejoins l’escalier de service.

Une fois chez moi je m’affale sur le canapé, la nuit qui vient de se terminer en tête. Je ne peux décemment pas en finir comme ça. Que trouve-t-il de si extraordinaire à cette nana du bus ? Comme souvent tout est histoire de timing, il faut croire que je suis toujours à contre temps. Je ferme les yeux, tente de trouver le sommeil, mais il ne vient pas. Il est là, Yves… Partout. Je me rappelle la finesse de ses doigts, le son de sa voix chuchotant à mon oreille, son torse glabre, ou presque. J’aurai du mal à écouter Roy Orbison si ça ne marche pas avec lui.

Je me déteste avec mes sentiments de midinette, diantre ! Prends du recul ! J’aimerais observer froidement la situation, ne pas céder aux pulsions. Mon cerveau est en ébullition, ce désir… c’est ce qu’on appelle un sacré retour de flamme ! Je ris toute seule, fière de ma trouvaille. Ceci dit, me voilà dans de beaux draps, prise dans des dilemmes inextricables. Je suis une héroïne de Jane Austen. Quelle stratégie adopter ? On avisera. S’il doit se passer quelque chose, il se passera quelque chose. En pensant cela, je sais que je mens à moi-même. Evidemment que je me battrai pour lui !

Mon ex, ce gros pourceau, a laissé un message sur le répondeur :

« Salut c’est moi, les caisses de Champagne sont arrivées, je suis passé chez toi hier, mais tu ne répondais pas… Rappelle-moi, tu me diras quand je peux revenir te livrer. »

Rien à faire de son maudit Champagne, j’ai d’autres chats à fouetter ! Une douche brûlante me fera le plus grand bien.

Alors qu’elle prend la direction de la salle de bain, elle se surprend à sourire.


We skipped the light fandango

Turned cartwheels 'cross the floor

I was feeling kinda seasick

The crowd called out for more

The room was humming harder

As the ceiling flew away

When we called out for another drink

The waiter brought a tray

And so it was that later

As the miller told his tale

That her face, at first just ghostly

Turned a whiter shade of pale

Procol Harum – A whiter shade of Pale

Elle est partie, elle a laissé son odeur dans les draps. Je savoure et inspire à plein poumon toutes les minuscules particules d’elle, le nez collé à son oreiller encore tiède. Faire durer le plaisir. C’est une fragrance qui me rappelle l’été, c’est une explosion d’agrumes, c’est la senteur résineuse des aiguilles de pin écrasées, c’est l’air iodé porté par le vent, c’est frais et enivrant…

Mes yeux se perdent dans l’observation de cette chambre. Ambiance zen, murs bordeaux, aucune décoration, un placard et une commode Ikéa, un parquet clair puis… deux capotes gisant sur le sol. J’ai la tête pleine de ce qu’il s’est passé hier. Je maudis ce Quincy, Agnès, ce rendez-vous avec Elsa. Je ne sais pas ce que je ressens au fond, comme Gabin, je ne sais plus rien. Depuis Agnès je doute. Il faut que je rencontre Elsa, que je lui parle de Roy Orbison, d’Elvis Costello, de Linguini alle vongole, des paysages de mon enfance… Après je saurai trancher. La vie est tout de même facétieuse, après dix ans de disette sexuelle et amoureuse, elle me sert quasi simultanément deux histoires d’amour sur un plateau. « Quelle pute la vie ! Je sens qu’une fois encore je vais prendre cher ! »

Alors qu’il prend la direction de la salle de bains, il est heureux de constater qu’il bande encore.


Aujourd'hui

J'ai rencontré l'homme de ma vie

Wow, aujourd'hui

Au grand soleil, en plein midi

Diane Dufresne – J’ai rencontré l’homme de ma vie

Elsa a bien dormi, il est 11h. Elle a allumé la radio, c’est une auditrice fidèle de Nostalgie. Cela fait bien longtemps qu’elle n’écoute plus les infos, ça la déprime. Dans sa kitchenette, c’est breakfast time ! Elle trempe ses toast beurre-confiture de fruits rouges dans le thé brûlant. A chaque bouchée son visage s’illumine de gourmandise. Le chat de la maison vient se frotter contre ses mollets en ronronnant. Balthazar, c’est son nom, est un chat de gouttière noir et blanc. Les poils blancs sur sa poitrine dessinent un cœur. Tout en râlant Elsa consent à le prendre sur les genoux. Le matou se délecte de ses caresses, il en a la tremblotte. Elle se dit qu’elle va prendre le temps, trainer en pyjama, elle descendra s’acheter un bagel au saumon quand elle aura faim. Elle parcourt son fil d’actu sur son téléphone, mais ne le lit pas vraiment. Elle s’arrête pour consulter son horoscope : « Poissons, méfiez-vous des beaux parleurs, le papier ne refuse pas l’encre. »

Perplexe, elle poursuit, tout en se disant qu’elle pourrait s’occuper autrement, de manière bien plus intelligente ou productive. C’est le bazar dans l’appart’, elle culpabilise un instant puis passe à autre chose.

Un « ding » retentit, une notification s’affiche sur son écran : RDV YVES 17h

Elle fulmine à voix haute : « Pfff, mais pourquoi ce rendez-vous ? Faut-il que je sois conne pour faire ce genre de truc. Je n’ai même pas son numéro pour annuler… Punaise, je vais devoir y aller, je peux pas laisser ce type seul devant son café… Ou peut-être que si… Je peux tomber malade, avoir une urgence… En même temps si je lui ai dit oui, c’est qu’il me plait… Bordel ! je suis vraiment une pauv’ fille ! »

Après quelques minutes de réflexion et de câlins félins, la jeune femme s’adoucit et s’adresse à son chat :

« Allez, Banco, je vais rencontrer ce dragueur des transports en commun, qui sait ? Ce sera peut-être l’homme de ma vie. » Elle pouffe de rire, Balthazar la regarde interloqué.

Alors qu’elle prend la direction de la salle de bains, elle se trouve d’humeur taquine.

 

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