It's hard to
understand
That the touch of your
hand
Can start me crying
I thought that I was
over you
But it's true, so true
I love you even more
than I did before
But darling what can I
do?
For you don't love me
and I'll always be
Roy Orbison – Crying
La vie de Roy Orbison fut tragique, marquée par la mort de sa femme dans un accident de moto, de celle de deux de ses fils dans le feu de sa maison. Il est né le lendemain de la chance mon Roy. Tout cela lui a laissé le cœur en miettes. De tous les rockers des années 60, il est mon préféré. Il est le plus doux, celui qui sait toucher mon âme solitaire. Je l’écoute régulièrement, sa voix de velours me caresse, m’enveloppe comme une couverture de laine mohair. Un seul air de Roy et je me sens bien, enfin apaisé, je roucoule de plénitude, comme si ses chansons lacrymales me faisaient relativiser mon triste sort. Ce soir j’ai eu envie d’écouter Crying, un titre sur un amour qui n’est hélas pas réciproque.
Ça, c’est ma hantise… et si Elsa se rendait compte que je ne
vaux pas tripette ? Attention, je ne suis pas amoureux, mais dans
l’éventualité où je ressentirais ce sublime et pathétique état de dépendance…
je voudrais qu’elle m’aime en retour, aussi fort, et au même moment.
Je me sers un whiskey, un petit. J’allume la cigarette qui l’accompagne. Roy beugle à travers les enceintes. La sonnette retentit.
Qui
peut bien venir m’emmerder à cette heure ? En ouvrant la porte, je
découvre avec étonnement le visage de Madame Talon ma voisine du dessus. Après
les formalités d’usage, l’air embarrassé, elle se jette à l’eau :
- Monsieur Montel…
- Appelez-moi Yves enfin…
- Yves, cela fait plusieurs fois que j’entends cette musique
chez vous…
- Oh ! Pardon ! Je vous promets d’écouter moins
fort !
- Non, non, ce n’est pas cela, j’aime beaucoup ce que vous
écoutez, c’est presque thérapeutique, cette voix de baryton, ça me transporte…
-Oh ! Vous, vous êtes tombée sous le charme de Roy Orbison !
Rien de grave, c’est même une excellente nouvelle ! Permettez que je vous
offre un verre… On écoutera Roy, et d’autres si vous voulez bien ?
Elle accepte de bon cœur et me voilà en train de lui offrir
un verre de Quincy que je sers avec de petits toasts au chèvre confectionnés à
la hâte. Le vin blanc et le whiskey font effet, et je lui expose tout, tout sur
Roy, sa vie, son œuvre, ses inspirations ! Sur la platine, les vinyles se
succèdent, aux premières mesures de Pretty Woman, j’esquisse même et contre ma volonté,
un pas de danse !
Madame Agnès Talon est une grande gigoince blonde, la quarantaine resplendissante, une femme de droite divorcée d'un commerçant vulgaire. Elle sent bon et ses manières sont exquises. Elle dirige une boite à bac, pour les crétins des beaux quartiers.
Ce soir, l’alcool aidant, je la trouve terriblement sexy dans sa chemise
blanche largement ouverte sur sa poitrine toute menue. Sa peau est constellée
de jolis grains de beauté. Ses jambes incroyablement longues et entortillées
entre elles comme des lianes autour d’un arbre peinent à trouver une place
autour de la table basse. Je n’avais jamais remarqué ce joli nez en trompette, ni
ces yeux malicieux, ni ces lobes d’oreilles excessivement pendants ! Elle
aime Roy, elle fond pour Nick Drake, je lui ai fait découvrir Bill Fay et elle l'adooore ! Le Quincy lui plait, nous avons vidé la bouteille.
- Agnès, j’ai besoin
de me confier, en toute amitié…
- Mais allez-y Yves, ayez toute confiance !
- Il se trouve que je suis très attiré par une femme que
j’ai rencontrée dans le bus. Elle se nomme Elsa et tout me plait chez elle, je
mise beaucoup sur cette rencontre qui a bouleversé ma vie… Bref, j’ai
rendez-vous avec elle demain, et vous savez, j’ai perdu l’habitude avec les
femmes, j’ai peur de me sentir niais, idiot, emprunté…
- Tut tut tut… pas de ça Yves, non, non… Vous êtes un homme
absolument divin, raffiné, drôle et très fin, ne vous dépréciez pas de la
sorte.
- Il se trouve que j’ai un autre problème… (elle sourit, compatissante) Je me lève alors sur
un coup de tête pour chercher une deuxième bouteille. Le suspens
s’installe dans le salon, Agnès se tortille dans son fauteuil.
Je reviens de la cuisine, débouche la quille et trinque avec
elle. Nous nous sourions, amicalement bien sûr. Je reprends là où le Quincy nous a
interrompu :
- Agnès, je n’ai pas embrassé de femme depuis au moins dix
ans… Je suis mortifié à l’idée de vous demander ce service, mais c’est vital
pour moi, je vous en supplie…
Madame Talon ne dit mot, déplie ses gambettes et me
rejoint dans le canapé.
- Fermez les yeux, me dit-elle de sa voix la plus suave,
laissez vous guider.
Quand le disque sur la platine s’arrête de jouer, nous venons juste de nous rouler la plus gigantesque des galoches de l’histoire des galoches. Un baiser torride digne de Burt Lancaster et Deborah Kerr dans Tant qu’il y aura des hommes. Le canapé a fait office de plage, nous sommes hirsutes mais extatiques. Je me fais la réflexion qu'Agnès Talon est encore plus désirable, toute débraillée et décoiffée.
Elle se refait
une petite beauté devant le miroir placé au-dessus de la cheminée. Mes yeux restent scotchés sur le galbe de son postérieur, fort gourmand ma foi. Heureusement, elle ne remarque rien (ou feint de ne rien remarquer). Une fois bien attifée, elle se tourne vers moi et me demande,
coquine et pleine d’assurance :
- Changez de disque mon Yves, nous n’en avons pas fini.
Avez-vous du Prince ?
Evidemment que j'ai du Prince ! La bougresse
a raison, rien de tel qu’un disque du nain de Minneapolis pour s’adonner aux
plaisirs de la chair… Les rythmiques funky et les mélodies lascives à souhait nous enivrent rapidement comme un shot de téquila.
Debout, immense face à moi ratatiné dans le canapé, la Talon
renchérit :
- Yves, mon cher, je fais cela pour vous, et pour votre seul
bonheur et au nom de notre amitié. Je veux que rendiez cette Elsa folle
d’amour. C'est l'heure des travaux pratiques !
Elle déboutonna sa chemise et fit de même avec la braguette de mon
pantalon.
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