Comme le venin envahit mes veines (épisode 1)


Elle est adossée au mur du château, à la façon des filles de joie. Entre l'index et le majeur une cigarette se consume, librement. La tête penchée, elle fixe le sol. A quoi pense-t-elle ? 
Je l'épie à l'ombre des platanes. Je l'ai bien connue… A l'époque nous dansions sur les tubes de boys bands bodybuildés. Je ne parviens pas à détacher mon regard de cette longue silhouette vêtue d'une petite robe noire. Plus rien ne compte, je parviens à faire abstraction totale de l'effervescence environnante. D'où je suis, invisible observateur, elle n'a pas changé. 
Elise s'approche de moi et me demande "ça va ?". Je reviens à moi, au réel, comme brusquement sorti d'une rêverie. Un peu étourdi je lui renvoie un laconique "oui... oui… ça va." 

Je me dirige vers celle qui monopolise mon regard et toute mon attention, avec cette sensation confuse que ces pas en sa direction vont changer ma vie, que je ferais mieux de rebrousser chemin… elle m'attire, comme l'aimant attire la limaille de fer.

Je lui adresse un "salut" timide. Elle feint la surprise, m'offre son plus beau sourire et relève ses lunettes qu'elle pose sur sa chevelure comme un serre-tête. Discussion banale de deux personnes qui se connaissaient jadis : état des lieux de nos vies 15 ans plus tard, silences et rires nerveux. Elle a été invitée par la mariée, je ne reste qu'au vin d'honneur, elle en est désolée. Alors qu'elle évoque sa vie, compliquée, forcément compliquée, je décroche pour me concentrer sur chaque trait de son visage, je la scrute et la détaille. Elle est la même, seules quelques ridules au coin des yeux témoignent du passage du temps. 

"Il faudra qu'on se revoie me dit-elle, avec ta femme, ou tout seul, c'est comme tu veux." 

Les mots de cette phrase sont malicieux… ils tournent en boucle dans ma tête et instillent le poison : "... ou tout seul, c'est comme tu veux". Je sais que je suis foutu, je sais qu'évidemment je vais vouloir la revoir, et seul. Je sais au moment même où je l'embrasse pour lui dire au revoir que je suis cuit. C'est mort. 

Pendant ces quelques minutes en sa compagnie j'aurais voulu ralentir le temps, me repaitre de son parfum, de la douceur de sa joue. Juste avant de nous séparer, elle m'a confié son numéro. 

Je la laisse là, adossée au mur du château. Je rejoins Elise qui me demande où j'étais. Evasif, j'élude, je botte en touche, loin, très loin. Je lui dis que j'ai croisé une vieille connaissance, c'était sans intérêt. Je prétexte un mal de crâne carabiné pour me carapater. Elise reste encore un peu, elle me demande de l'attendre dans la voiture. A peine installé derrière le volant, je saisis mon téléphone :

"Salut Clara, j'ai été ravi de te revoir, on se voit la semaine prochaine ? Antoine"

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