Play, rewind (épisode 4)

 


Il est des nuits qui comptent pour deux, peut-être plus encore. Elles vous lessivent, vous rincent et vous essorent. Ces nuits-là, le temps devient élastique, comme un chewing-gum qu'on étire entre ses doigts et ne se brise jamais. Je perds patience. Mon petit cerveau tourne à plein régime : dedans il y a bien sûr Carole, mes parents qui petit à petit redeviennent familiers, ces chansons que je ne parviens toujours pas à terminer depuis 3 ans, les souvenirs d'enfance et les projets foireux. Plus rien n'a de sens. 

Dans le lit d'enfant je fixe, le plafond, puis le radio-réveil, je tourne et vire. Le matelas en mousse me fait transpirer, je me lève : verre d'eau. Rien n'y fait. Une cigarette à la fenêtre, il est 02:22. Tout est paisible, je remarque dans le pavillon d'en face quelqu'un jouant de la guitare derrière sa fenêtre éclairée. Ses cheveux longs pendent sur l'instrument, sa silhouette se découpe en ombre chinoise. J'ai envie de dire à cette personne de toujours jouer, même si c'est difficile, même si elle n'arrive à rien de vraiment pleinement satisfaisant. La satisfaction est ailleurs, dans cette sensation proche de l'ivresse, cette espèce de vertige qui vous laisse hébété, la tête vide à force de jouer, de chercher, de s'amuser aussi. J'aime autant me saouler de sons et de notes que de vins et d'alcools...les deux oblitèrent la douleur.

Retour au lit. Mon esprit se concentre sur ce putain de souffle qui me fait tant défaut, inspirer, expirer. 

7h00, j'ai dormi. Les cloches sonnent l'angélus, rituel obsolète ancré dans ces contrées autrefois rurales, rituel bien pénible en fait, alors je grogne. Maman est déjà debout, je l'entends en bas : bruits de vaisselle qu'elle sort de la machine. J'ai la gueule de traviole, coiffé avec un clou, je descends prendre le petit déjeuner, "Salut M'man, mmmm, tu as fait du café… Je peux me servir ?"

Elle me regarde engloutir les tartines de pain grillé que je trempe avec délice dans le café brûlant. Jean Ferrat passe à la radio.

- Pourquoi es tu revenu ? Seul… Et Carole, elle ne veut plus nous voir ? Tu peux me le dire si quelque chose ne va pas… (un silence pesant s'installe). C'est ton couple ? Tu as besoin d'aide, de l'argent ?

Je l'écoute en me disant qu'elle finira bien par se lasser de mon silence, je n'ai aucune envie de parler de tout ça. Il faut esquiver, botter en touche, prendre le chemin des vestiaires. 

- Ils passent toujours Jean Ferrat sur cette radio…

Elle hausse les épaules et me tourne le dos, essuie vigoureusement quelques plats qui trainaient là sur la paillasse. 

- Tu fais la tête ? Excuse moi, je ne suis pas du matin, mal dormi. Promis je te dirai ce qui m'amène ici. Au fait, ça vous dérange si je reste plus longtemps que prévu, genre un petit mois ?

Elle se retourne, vient vers moi, "dans mes bras…", elle me câline comme un enfant, je me laisse faire, j'ai 50 ans.

- Maman… s'te plait…

Je me sens cajolé, aimé. Dans le poste de radio Jean Ferrat a laissé place à C Jérôme, le soleil se lève et inonde la cuisine de soleil.

A suivre...

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