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On a sonné à ma porte. J’ai ouvert. Une jeune femme en marinière ma tendu une boite accompagnée d’un « Tenez, c’est pour vous ». Un peu surpris, j’ai dit « ok, merci ». La jeune femme est repartie, presque en courant.
Je me suis trouvé désemparé avec cette boite sur les bras.
J’imagine que c’est naturel d’être déboussolé, interloqué… C’est tout de même
bizarre. Qui pouvait bien être l’expéditeur ? Que contenait cette
boîte ? J’ai posé cet étonnant présent sur la table de la cuisine, je l’ai
examiné avec minutie : c’était une boite en fer, dessus était écrit :
Galettes Saint-Michel, F et J Grellier, Saint-Michel-Chef-Chef. Un autocollant
placé en haut à droite du couvercle indiquait fièrement « Tout au
beurre ». Le couvercle était
illustré d’une belle poule blanche, sur fond noir. Les fabricants avaient eu
l’intelligence de penser aux daltoniens, pas de nuances subtiles : du
noir, du blanc, du jaune et du rouge. Primaire, basique, lisible. J’ai souris
en lisant à voix haute le nom de Saint-Michel-Chef-Chef. Cette répétition du
mot « chef » m’a fait penser aux films de la 7eme compagnie, Jean
Lefebvre et Pierre Mondy, Henri Guybet, Aldo Maccione… souvenirs télévisuels de
mon enfance, pas du grand cinéma, mais ça au moins je ne l’ai pas oublié. La
boite était carrée, 25 cm de côté, 10 cm de hauteur. J’ai eu l’idée de la
peser : 459 grammes exactement. Je l’ai secouée, lentement, puis voyant
que rien n’explosait, plus vigoureusement. Il y avait bien quelque chose à
l’intérieur. Les bords du couvercle étaient scellés avec de l’adhésif. N’y
tenant plus, j’ai attrapé le premier couteau qui trainait et commençais à
couper ce foutu scotch ! Enfin je pouvais ouvrir cette boite mystère…
J’ai pris mon téléphone, ai photographié son contenu.
C’était une collection de petits objets disparates, comme autant d’indices
d’une chasse au trésor. Il y avait un ticket de concert indiquant « Route
du rock, Fort de Saint-Père, 2001 », un sous bock Carlsberg, du sable
emprisonné dans un minuscule bocal en verre, deux polaroïds aux couleurs délavées
dont un représentait la mer, une petite plage, quelques annexes au mouillage,
des pieds bicolores dus, j’imagine, au bronzage en sandalettes.
A mesure que je découvrais les objets, ma mémoire se faisait
plus vive, mais comme les vagues qui vont et viennent sur le sable de la plage,
les souvenirs apparaissaient puis s’effaçaient dans la seconde. Il me semble
bien que j’étais à Saint-Malo en 2001, qui pouvait bien être cet
expéditeur ? Je cherchais vainement mais continuais à défricher le contenu
de la boite. La deuxième photo ne m’éclairait guère, c’était moi, en polo et
bermuda, un chapeau de paille sur la tête, confortablement installé sur une
chilienne, sirotant ce qui devait être un mojito. Parmi les objets, une
languette de parfumerie. Je l’approche de mes narines, j’inspire profondément,
je reconnais de façon imprécise les notes boisées de la fragrance, c’est un
parfum rare, plutôt chic, je ne parviens pas à l’associer à une personne… c’est
agaçant… c’est un parfum pour femme, c’est ma seule certitude. Décidément je
fais un piètre limier !
Dieu que c’est loin 2001 ! Il y en a eu des fêtes et
des cuites depuis, des blackouts et des malaises… Je le paie aujourd’hui :
je dois tout noter, j’archive ma vie, en photographie chaque instant. Ma
mémoire externe se trouve dans le Cloud, sur des serveurs énergivores, loin
d’ici. Sans cela je suis perdu, je ne suis qu’une enveloppe creuse, un homme
sans passé. Pourquoi m’envoyer cette boite ? Je ne comprenais pas
l’intérêt de la démarche… Il y avait une cassette, dessus était écrit pour toi,
suivi d’un cœur. J’ai la chance de pouvoir encore écouter ce genre d’objet
sonore, je suis collectionneur, je conserve, même ce qui pourrait vous sembler
obsolète.
Dès les premières notes, je comprends. Les poils de mes bras
se dressent comme autant d’indicateurs de plaisir, minuscules sismographes des
émotions. Je me souviens très bien de cette chanson que je te chantais :
« Vois, l'aube est pleine de promesses, Chinoise aux sombres mobiles, Les
nuages se pressent et les étoiles filent, Demain est presque là, éclaire une
autre ville… »
Cette chanson d’Etienne Daho, je te l’ai susurrée à
l’oreille, au petit matin sur la plage, à Cancale, en contrebas de cette jolie
demeure bourgeoise où se déroulait la fête.
Dans la boite il y a aussi un pan de carte Michelin, un
dépliant du musée des Corsaires, un coquillage avec en son creux un numéro de
téléphone fixe. Il y a aussi une carte postale de Grèce datant de septembre 2001,
elle est timbrée, à mon nom, mais l’adresse est incomplète. Tu m’écris que tu
es désolée, que tu as rencontré quelqu’un juste après moi, qu’il habite dans la
même ville que toi, dans le sud, qu’il aime Daho comme moi… la carte est
inachevée…
L’énigme est résolue, je sais qui tu es. Toi, je ne t’ai pas
oubliée, et pourtant, je n’ai aucune image de toi… mais au cœur de chaque nuit
il y a cet instant où je vois ta silhouette, ton grand sourire, tes cheveux
décoiffés dans le vent, j’entends la mer, Daho, moi qui prononce ton
prénom : Aure.
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