Une vie en boite


 
Photo by Autri Taheri on Unsplash

On a sonné à ma porte. J’ai ouvert. Une jeune femme en marinière ma tendu une boite accompagnée d’un « Tenez, c’est pour vous ». Un peu surpris, j’ai dit « ok, merci ». La jeune femme est repartie, presque en courant.

Je me suis trouvé désemparé avec cette boite sur les bras. J’imagine que c’est naturel d’être déboussolé, interloqué… C’est tout de même bizarre. Qui pouvait bien être l’expéditeur ? Que contenait cette boîte ? J’ai posé cet étonnant présent sur la table de la cuisine, je l’ai examiné avec minutie : c’était une boite en fer, dessus était écrit : Galettes Saint-Michel, F et J Grellier, Saint-Michel-Chef-Chef. Un autocollant placé en haut à droite du couvercle indiquait fièrement « Tout au beurre ».  Le couvercle était illustré d’une belle poule blanche, sur fond noir. Les fabricants avaient eu l’intelligence de penser aux daltoniens, pas de nuances subtiles : du noir, du blanc, du jaune et du rouge. Primaire, basique, lisible. J’ai souris en lisant à voix haute le nom de Saint-Michel-Chef-Chef. Cette répétition du mot « chef » m’a fait penser aux films de la 7eme compagnie, Jean Lefebvre et Pierre Mondy, Henri Guybet, Aldo Maccione… souvenirs télévisuels de mon enfance, pas du grand cinéma, mais ça au moins je ne l’ai pas oublié. La boite était carrée, 25 cm de côté, 10 cm de hauteur. J’ai eu l’idée de la peser : 459 grammes exactement. Je l’ai secouée, lentement, puis voyant que rien n’explosait, plus vigoureusement. Il y avait bien quelque chose à l’intérieur. Les bords du couvercle étaient scellés avec de l’adhésif. N’y tenant plus, j’ai attrapé le premier couteau qui trainait et commençais à couper ce foutu scotch ! Enfin je pouvais ouvrir cette boite mystère…

J’ai pris mon téléphone, ai photographié son contenu. C’était une collection de petits objets disparates, comme autant d’indices d’une chasse au trésor. Il y avait un ticket de concert indiquant « Route du rock, Fort de Saint-Père, 2001 », un sous bock Carlsberg, du sable emprisonné dans un minuscule bocal en verre, deux polaroïds aux couleurs délavées dont un représentait la mer, une petite plage, quelques annexes au mouillage, des pieds bicolores dus, j’imagine, au bronzage en sandalettes.

A mesure que je découvrais les objets, ma mémoire se faisait plus vive, mais comme les vagues qui vont et viennent sur le sable de la plage, les souvenirs apparaissaient puis s’effaçaient dans la seconde. Il me semble bien que j’étais à Saint-Malo en 2001, qui pouvait bien être cet expéditeur ? Je cherchais vainement mais continuais à défricher le contenu de la boite. La deuxième photo ne m’éclairait guère, c’était moi, en polo et bermuda, un chapeau de paille sur la tête, confortablement installé sur une chilienne, sirotant ce qui devait être un mojito. Parmi les objets, une languette de parfumerie. Je l’approche de mes narines, j’inspire profondément, je reconnais de façon imprécise les notes boisées de la fragrance, c’est un parfum rare, plutôt chic, je ne parviens pas à l’associer à une personne… c’est agaçant… c’est un parfum pour femme, c’est ma seule certitude. Décidément je fais un piètre limier !

Dieu que c’est loin 2001 ! Il y en a eu des fêtes et des cuites depuis, des blackouts et des malaises… Je le paie aujourd’hui : je dois tout noter, j’archive ma vie, en photographie chaque instant. Ma mémoire externe se trouve dans le Cloud, sur des serveurs énergivores, loin d’ici. Sans cela je suis perdu, je ne suis qu’une enveloppe creuse, un homme sans passé. Pourquoi m’envoyer cette boite ? Je ne comprenais pas l’intérêt de la démarche… Il y avait une cassette, dessus était écrit pour toi, suivi d’un cœur. J’ai la chance de pouvoir encore écouter ce genre d’objet sonore, je suis collectionneur, je conserve, même ce qui pourrait vous sembler obsolète.

Dès les premières notes, je comprends. Les poils de mes bras se dressent comme autant d’indicateurs de plaisir, minuscules sismographes des émotions. Je me souviens très bien de cette chanson que je te chantais : « Vois, l'aube est pleine de promesses, Chinoise aux sombres mobiles, Les nuages se pressent et les étoiles filent, Demain est presque là, éclaire une autre ville… »

Cette chanson d’Etienne Daho, je te l’ai susurrée à l’oreille, au petit matin sur la plage, à Cancale, en contrebas de cette jolie demeure bourgeoise où se déroulait la fête.

Dans la boite il y a aussi un pan de carte Michelin, un dépliant du musée des Corsaires, un coquillage avec en son creux un numéro de téléphone fixe. Il y a aussi une carte postale de Grèce datant de septembre 2001, elle est timbrée, à mon nom, mais l’adresse est incomplète. Tu m’écris que tu es désolée, que tu as rencontré quelqu’un juste après moi, qu’il habite dans la même ville que toi, dans le sud, qu’il aime Daho comme moi… la carte est inachevée…

L’énigme est résolue, je sais qui tu es. Toi, je ne t’ai pas oubliée, et pourtant, je n’ai aucune image de toi… mais au cœur de chaque nuit il y a cet instant où je vois ta silhouette, ton grand sourire, tes cheveux décoiffés dans le vent, j’entends la mer, Daho, moi qui prononce ton prénom : Aure.

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