Photo by Shane McKnight on Unsplash |
Un jour de septembre (notez que ce détail n’a vraiment
aucune importance) Chloé m’a embrassé par surprise, alors que nous découvrions
la saveur, encore inconnue du thé vert. Le canapé a été le théâtre de notre vie
amoureuse balbutiante. Nous lui devons aussi notre réussite académique puisqu’il
nous servait aussi bien de bureau que de salle de lecture.
Diplômes en poche, ses parents nous ont offert notre premier
vrai lit. Un lit de 140 : matelas en Bultex, sommier à lattes, le tout
fabriqué en France et acheté à la Camif (ils sont profs, vous l’aurez peut-être
déduit). Tout est allé très vite, mariage, première acquisition, premier
enfant : Léa.
C’est ici que le lit conjugal s’est transformé en lit
familial, là où l’on dort si mal à trois. C’était l’infirmerie, l’endroit où
tous les petits bobos se soignent avec un câlin. Léa y avait installé son QG,
terrain de jeu grignotant sur notre espace intime et peuplé de dizaines de doudous
plus ou moins odorants. J’y ai raconté les plus belles histoires, celles de la Petite
taupe, du Chien bleu et de Devine combien je t’aime. Nous nous aimions comme au
premier jour.
J’ai vu le ventre de Chloé s’arrondir pour la deuxième fois.
Elle trouvait notre lit trop exigu, « il nous faut un King
size comme chez Jeanne et Hervé ». Elle avait besoin de changer, de s’étaler
comme une étoile de mer dans un lit aux dimensions royales. Soit. Je ne donne
jamais mon avis sur les achats de la maison, toujours absolument passif dans ce
domaine, j’ai dit « ok, si tu penses que c’est mieux ». Il a fallu
changer d’appartement pour trouver un écrin digne de cet élément mobilier
absolument indispensable à notre sommeil et donc à notre félicité!
Il fut installé dans la « suite parentale ». Cela
marqua pour moi l’étape ultime de notre embourgeoisement : une putain de
suite parentale avec salle d’eau équipée d’une double vasque et un putain de
lit King size et ses dizaines de coussins encombrants… comme aux Etats-Unis !
Gaspard est né. Nous pouvions désormais dormir à quatre sans
même nous gêner. Je conseille ce lit aux familles qui souhaitent économiser sur
le chauffage et en literie. Je le déconseille fortement aux couples. Nous
étions devenus étrangers l’un à l’autre, trop éloignés pour s’étreindre. Confortables
sur nos sommiers et matelas individuels et jamais troublés par les soubresauts
nocturnes de l’autre nous dormions du sommeil du juste.
Petit à petit j’ai perdu contact avec la peau de Chloé, avec
son souffle, sa chaleur. Elle ne ressentait plus le besoin de me toucher, elle
dormait. J’ai fini par m’exiler sur le canapé. Là-bas j’étais libre, libre d’allumer
la lumière, de lire, de boire un thé (vert ou non). J’étais devenu libre de ne
plus dormir, en décalage complet avec le reste de l’humanité.
Commentaires