Je suis attablé au Stella Maris, avec vu sur le port. Sous une terrasse bâchée et chauffée qui me protège de la morsure du vent d'ouest, je me trouve confortablement assis sur une chaise en cannage. J'en suis à ma troisième clope, je suis arrivé bien trop tôt...C'est ainsi, je souffre d'anxiété, j'anticipe toujours le pire des scénarii (panne sur le bord d'une route isolée, pluie de sauterelles, blessure atrocement douloureuse), alors je prends de l'avance, au cas où. Je me fais la réflexion que pour un anxieux, j'ai le chic pour me fourrer dans la pire des embrouilles anxiogènes : l'infidélité !
Je me maudis, je maudis ce type plus tellement comestible qui pense encore
avec sa zigounette. Excusez ce mot en Z, terme enfantin s'il en est, mais j'ai
beaucoup de mal à appeler un chat, un chat. L'argot et les métaphores viennent
à mon secours lorsqu'il s'agit de prononcer les mots qui font mal, ceux qui
font peur, les mots du désir comme de l'amour ou des sentiments. Il n’est pas
né celui qui m’entendra prononcer ces mots : mort, cancer, pénis, maladie,
seins, femme, faire l'amour, jouir, éjaculer, érection, aimer (liste non
exhaustive).
Elle a du retard, 3 minutes exactement. La sueur perle sur mon front,
j’éponge tant bien que mal avec un mouchoir en papier déjà utilisé. Je sais, c’est
sale. Je regarde ma montre, puis mon téléphone, puis l'horloge à l'intérieur du
bar, les minutes passent, pas de Clara en vue. Au bout de quinze minutes
environ, un message s'affiche sur l'écran de mon téléphone.
"Désolé, j'ai eu un gros contretemps, je ne pourrai pas venir
aujourd'hui. Ne m'en veux pas, je t'embrasse tendrement."
Pas besoin de relire cent fois, j'éprouve un certain soulagement, le poids
(relativement léger) de la culpabilité s'évanouie dans d’élégantes volutes de
fumée. Tout-va-bien ! Je n'ai rien fait de mal, juste un petit break à
Vague-les-bains. Je suis crevé, trop de boulot, juste eu envie de boire des
bières au bord de la mer, rien de répréhensible par la police du couple.
Pour fêter tout ça, je me lève et me dirige vers le zinc, commande une bière
que je bois cul-sec ! Un peu schlass, je règle l'addition et, pas mécontent de
moi, traine mes guêtres sur le quai, empli de moi-même, moi ce héros de la vertu
qui a su résister à l’appel de la tromperie, du mensonge et de la médiocrité.
Je repère un chalutier qui débarque sa marchandise, grand prince, j'achète
une énorme portion de cabillaud que le marin me débite en tranches, ce sera
parfait pour ce soir. Dans une des minuscules ruelles perpendiculaires au port
je repère un petit caviste, il me conseille un Cheverny à 13€. Va pour le
Cheverny, dis-je le ton enjoué ! Je vous passe le storytelling débile que me
sert la caviste tatouée sur la rencontre d'Alexandre et Romain, cadres dégoutés
par leurs jobs vides de sens qui, suite à la pandémie mondiale ont décidé de
changer de vie pour travailler en biodynamie (évidemment...) les vignes
héritées de l'oncle Albert, un homme remarquable qui entretenait un rapport
quasi fusionnel avec le Gamay et le Sauvignon. La nana encaisse et me souhaite
une belle journée, je marmonne un « de même » à peine aimable et repars
avec ma quille sous le bras : "Ce soir, Elise c'est moi qui cuisine
!"
Alors que j'allais rejoindre ma bagnole, je suis attiré par une femme aux pieds nus. Je ne sais pas pourquoi, je décide de la suivre. Merde ! Elle se retourne. D'un signe de la main elle m'invite à franchir le seuil d'une majestueuse maison bourgeoise en briques.
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