Play, Rewind (épisode 2)

 


Je gare mon véhicule non loin de la maison des parents, mais suffisamment loin pour qu'ils ne me voient pas. J'ai besoin de réfléchir, cela fait tellement longtemps que je ne les ai vus. J'allume une cigarette, le briquet fait clic, le tabac, en se consumant, crépite. J'inhale la première bouffée et recrache la fumée en soufflant bruyamment. Comme tous les fumeurs, j'utilise tous les prétextes pour en griller une. Dans ce cas j'ai besoin de concentration, donc, clope. La fumée emplit l'habitacle, incommodé, je baisse la vitre électrique. L'air est doux et le parfum de l'herbe fraîchement coupée vient chatouiller mes narines, cette odeur familière et chérie se mêle à celle plus rare du bitume après l'orage, j'inspire profondément comme pour recharger mes batteries. 

La rue est un cul-de-sac qui se termine en rond point. C'était un terrain de jeu idéal. J'ai tant aimé vivre ici. Il y avait Christophe le grand échalas à la puberté précoce, Hervé et son cheveu sur la langue, Fabrice, le premier à rouler en mob, le premier à jouer à la console de jeux vidéo, mais pas le premier en classe… Les souvenirs affluent, en désordre, ils me submergent. Il y avait le camion du marchand de glaces et sa petite musique qui nous avertissait de son passage dans le lotissement, et les filles, ces êtres mystérieux et effrayants qui nous fascinaient, elles étaient si différentes. Parmi ces créatures, Il y avait Camille, qui vivait chez sa grand-mère à cause du divorce de ses parents. A ses côtés Je ne comprenais plus rien à rien : d'où venait cette sensation de chaleur, cette envie de toujours respirer au même rythme qu'elle, cette connivence, ce magnétisme invisible qui nous réunissait immanquablement, ce bien-être et ce malaise qui m'étreignait, cette impossibilité de dire (qui ne m'a jamais vraiment quitté) ?  

La cigarette est consumée, retour à la vraie vie, retour à aujourd'hui. Je jette le mégot par la fenêtre, verrouille la caisse, marche lentement, la tête pleine de stratégies fumeuses, de scénarii complexes. Je me ravise et reviens sur mes pas. Je ramasse le mégot, l'enferme dans un paquet de cigarettes vide. Je vais à reculons chez Papa et Maman, je suis un gosse qui a commis une grosse bêtise, j'ai peur, mais il faudra bien que je le dise.

Il a dû sentir ma présence, il est là les mains sur les hanches sur le perron. Je sonne, ouvre le portillon.

- Te voilà ! Je me suis fait du mouron pour toi avec ces averses orageuses !

Je ne réponds pas et l'embrasse comme un fils revenu d'un guerre lointaine, avec une belle embrassade bien virile ponctuée de bourrades dans le dos. Nous nous séparons. Il fait un pas en arrière. "Tu as maigri toi. Carole ne te fais pas à manger ?"

Maman est dans la cuisine, comme d'habitude. La radio passe un morceau de Jean Ferrat. "Viens dans mes bras mon p'tit." me dit-elle en penchant la tête sur le côté avec un air sincèrement attendri. Je suis plus grand qu'elle, son visage se pose sur ma poitrine, c'est doux. Elle aussi me fait remarquer ma perte de poids. "Je fais attention à ce que je mange Maman, tu sais, à mon âge… Je ne veux pas ressembler à Papa". Elle pouffe de rire en me donnant un léger coup de torchon, "toujours aussi taquin toi, heureusement que ton père ne t'a pas entendu, c'est un sujet sensible ici !"

Je monte à l'étage, dépose mes affaires. Ma chambre est un sanctuaire, rien n'a changé. Les posters au mur ont juste jauni. Je prends quelques minutes pour respirer l'atmosphère de la pièce, tripoter deux, trois bibelots, ce petit bateau ramené de vacances en Espagne, cette cassette de Prince. Tiens, dans le coin sous la pente du toit, une guitare sans cordes. Il faut que je me lave les mains. Dans la salle d'eau, j'évite le miroir et frotte vigoureusement, tête basse, en prenant bien soin de ne jamais regarder mon reflet.  Il est temps ! Tel un boxeur prêt à en découdre, je dévale l'escalier.

Le thé est prêt. Elle affiche un sourire radieux. Elle pousse une table roulante au design futuriste. Tout a changé, la cheminée ouverte a été remplacée par un poêle à bois, il y a même une véranda. 

- C'est devenu chouette ici ! 

- Arrête tes conneries, me dit mon père avec son air bougon qui lui colle à la peau depuis toujours, on sait bien que tu n'aimes pas… Toi t'aurais bien un truc à nous demander… Il ricane dans sa barbe, fier de lui. 

Le thé est brûlant, trop infusé, j'ajoute deux sucres. Je sais que ce soir je n'aurai pas le courage. 

A suivre...

Commentaires

Anonyme a dit…
Bien écrit, vif et concis..
Vincent Kara a dit…
Merci Anonyme !